Ça fait longtemps que je me pose cette question. Lorsque j’ai commencé ma recherche dans les années 1980, la question est vite apparue dans ma tête. Qu’est-ce qui fait que la cuisine est québécoise? Est-ce le fait qu’on cuisine avec des aliments québécois? Est-ce le fait que ce sont des Québécois qui la font? Est-ce parce que ça fait longtemps que l’on cuisine un plat pour qu’il soit considéré comme un plat québécois? En essayant de répondre à ces questions, à travers mes découvertes culinaires et à travers un travail de critique de ces réponses, je me suis rendu compte que la réponse était complexe, mais plausible. Je veux vous faire la synthèse de mes réflexions, ici.
Peut-on dire, d’abord, que des aliments sont des aliments québécois?
Pour bien se comprendre, il faut d’abord préciser ce qu’est un aliment et ce qu’est le Québec. Un aliment, c’est quelque chose qui se mange par un être humain ou des animaux. C’est donc quelque chose qui appartient à la flore, à la faune, voire au monde minéral que l’on trouve dans la nature, sur notre planète. Le Québec, c’est un territoire géographique délimité en 1867 par les fondateurs politiques du Canada. Par conséquent, des aliments québécois seraient uniquement des aliments que l’on retrouve à l’intérieur de ce territoire politique. Mais, assez rapidement, on peut dire que les aliments ne sont pas issus de territoire politiques mais de garde-manger naturels qui n’ont pas les mêmes frontières que les frontières artificiellement créées par des entités politiques. Le saumon est un poisson qui vit sur plusieurs continents tout comme l’érable ou le caribou. On peut cependant dire que le caribou vit dans un territoire nordique et qu’il est présent sur plusieurs territoires politiques. Son identité est lié à un climat et à un garde-manger qui le nourrit. C’est un aliment lié à un territoire climatique, tout comme le café ou la noix d’acajou.
Qu’est ce qui fait donc qu’on peut dire qu’un aliment est porteur d’une identité culinaire, sur un territoire politique?
C’est le plat ou le produit qu’on en fait. Chaque pays, chaque ethnie, chaque famille, chaque cuisinier même a sa façon de cuisiner le saumon, le caribou ou l’érable. Et cette façon appartient à une ou plusieurs cultures culinaires implantées sur le territoire politique en question. Ces manières de préparer les aliments sont nées, très souvent, il y a des millénaires, sur d’autres continents. Ce sont des groupes ethniques qui les ont inventées et transportées avec eux à travers leurs nombreux déplacements sur notre planète, au cours des siècles.
C’est ainsi que la cuisine québécoise s’est bâtie, depuis qu’il y a des humains sur le territoire devenue le Québec en 1867, et qui s’est appelé auparavant le Bas-Canada, la Nouvelle-France, Nitassinan, et ce, depuis plus de 12 000 ans, au moment où les proto-Amérindiens sont entrés sur ce territoire à la recherche du caribou ou du saumon.
Chaque peuple qui est venu s’installer sur ce territoire a apporté sa manière de cuisiner le saumon et le caribou. Puis il a apporté les aliments qu’il aimait de son pays d’origine qui lui-même les avait reçu d’ailleurs, très souvent. Les Français ont apporté le blé, les pois, le porc, les poules que les Autochtones sur place ont adoptés. De la rencontre des cultures culinaires, sont nés de nouveaux plats qui font figure, aujourd’hui, de plats identitaires du Québec, comme les fèves au lard, les cipâtes ou la poutine qui sont tous des plats issus de plusieurs cultures culinaires différentes, métissées au Québec même.
En résumé, c’est la somme des cultures d’un territoire qui donnent une identité culinaire à un territoire, non les aliments eux-mêmes. Les cultures autochtones et européennes présentes en 1867 ont rendu le caribou québécois en le choisissant pour se nourrir, se vêtir et s’abriter, à leur manière.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec