Le Québec cuisine

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Qu’en est-il de nos braisés?

Le retour du froid nous invite à cuisiner avec le four ou les outils culinaires de cuisson longue. Autrefois, ce froid nous obligeait à faire du feu dans l’âtre ou le poêle toute la journée, sinon toute la nuit, pour être comfortable et ne pas geler l’eau et les denrées du quotidien. L’un des plats les plus populaires de notre répertoire culinaire est le braisé sur le feu ou au four. Le mot lui-même, apporté par les Français au XVIIe siècle, évoque la cuisson sur les braises, pratiquée par nos ancêtres germaniques et celtes. Les Vikings disaient « brass » pour « bouillir sur le feu » ou « rôtir ». Pour ne pas que les aliments collent au fond du plat, on maintenait toujours un peu de liquide au fond du plat. Ce qu’on ne fait pas, en principe, avec les rôtis. Cette eau se transformait en jus de viande délicieux qui se mêlait au gras qui fondait de la viande ou du poisson, en cours de cuisson. Le mot remonte donc à la fin du Haut Moyen Âge classique (IX-Xe ss), en France, puisque les Vikings s’installèrent en Normandie au IXe siècle. En se métissant avec les habitants locaux d’origine celtique, franque et romaine, ils répandirent leur mot qui allait s’imposer dans toute la francophonie naissante. Mais au Québec le mot braisé n’était pas souvent utilisé, sinon par les gens instruits. On parlait plus souvent de « rôti » ou de cuisson « à la petite eau » par opposition à la cuisson « à la grande eau » qui est carrément un « bouilli » ou une « bouillotte ». Le mot « bouillotte » se traduirait aujourd’hui par le mot « mijoté », qui implique une cuisson lente dans de l’eau amenée au point d’ébullition.

On cuisait les viandes ou les poissons avec de l’oignon et des herbes de saison, dans une casserole de fer noir suspendue par une crémaillère au-dessus des braises, d’où le terme de braisé. La recette remonte à l’âge de fer, donc au moins à 2700 ans avant aujourd’hui, dans la nord de l’Europe. Comme les viandes de l’époque étaient tirées des animaux en fin de vie, elles étaient souvent coriaces. La longue cuisson, une partie de la journée ou pendant la nuit, permettait de les attendrir à souhait. Au Moyen Âge classique, on les parfumait abondamment d’épices importées de l’Asie par les marchands arabes. À la Renaissance, on délaissait ces épices au profit des herbes amères comme le thym, le serpolet ou le laurier. Nos ancêtres français qui apportèrent la recette au Québec remplacèrent le boeuf par l’orignal, le cerf, le caribou des bois et surtout le wapiti, abondant jusqu’au XVIIIe siècle. Il était beaucoup plus économique de se nourrir de viande sauvage que de viande domestique qu’il fallait nourrir et abriter pendant toute la période d’élevage, sans compter les champs qu’il fallait faire pour planter des céréales destinées à les nourrir et les granges qu’il fallait construire pour entreposer le foin destiné à les nourrir, en hiver. En fin de cuisson des braisés québécois, on ajoutait souvent des légumes-racines et des pommes de terre pour multiplier le nombre de portions, en particulier dans les familles nombreuses, courantes dans nos campagnes du XIXe et début du XXe siècle. Voyons ce qu’on faisait braiser, en plus du boeuf ou du gros gibier.

Les Britanniques aimaient braiser des abats au four avec des légumes. On les coupait alors en dés ou en fines tranches en les mettant par couches à travers des rangs de légumes et de pommes de terre. Les Franco-Québécois les imitèrent et créèrent leurs propres braisés d’abats, de la Côte-Nord jusque dans le Haut-Outaouais. En Haute-Côte-Nord, ce braisé s’appelle un « Carrauté d’abats ». Les braisés d’agneau ou de mouton aux pommes de terre et légumes-racines sont devenus populaires dans certaines régions à dominance anglophones, à la fin du XIXe siècle. Malheureusement, le coût de l’agneau est si onéreux, aujourd’hui, que ces braisés demeurent un plat festif. Nous connaissons le navarin d’agneau français et le couscous à l’agneau du Maghreb, mais nous avons beaucoup d’autres recettes similaires qu’il nous faut découvrir, comme l’agneau braisé avec purée de pommes de terre à la sarriette ou celui avec purée de navets poivrés. 

Au temps du Régime français et même jusqu’au milieu du XIXe siècle, il était plus facile de cuisiner des oiseaux sauvages que des oiseaux domestiques. Par conséquent, au printemps et en été, on cuisinait beaucoup plus les perdrix, les tourtes, les canards et les oies de passage que les poulets, les canards, les pigeons et les oies domestiques; ces derniers étaient abattus à la fin novembre, conservés gelés et consommés les dimanches de l’hiver, en particulier du jour de Noël au Mercredi des Cendres, premier jour du carême catholique. On les faisait braiser souvent avec un morceau de porc pour les engraisser car la plupart jeatient la peau grasse de ces oiseaux à cause de l’odeur forte qu’ils dégageaient à la cuisson. On remplacait donc ce gras de l,animal par un morceau gras d’épaule de porc ou un carré de lard salé.

Dans les années 1830, lors de la formation des régions périphériques du Québec, on construisait de nouvelles maisons en pièce sur pièce, que l’on chauffait avec un poêle à bois. Ce poêle de fonte noire était constitué d’une partie pour le feu, d’une partie pour un ou deux fours et d’un réchaud. On les a appelés des poêles à deux ou trois ponts. C’est dans ces fours qu’on mettait cuire les braisés de gibier assez fréquents dans la cuisine du début de ces régions. On était à 2 pas du gibier qui était alors abondant et qu’on n’avait pas besoin d’entretenir comme les animaux domestiques. Ce que j’appelle le gibier moyen est le cerf à queue blanche, le castor, le linx, par opposition au gros gibier comme l’orignal, le caribou et le wapiti. On les préparait avec de l’oignon et des épices en ajoutant parfois du vin, du vinaigre ou du bouillon de viande maison. En fin de cuisson, on ajoutait parfois des pommes de terre et des légumes de saison, comme pour le gros gibier. Ob cuisinait aussi le petit gibier, Pendant l’hiver, on faisait des braisés avec du lièvre, de la gélinotte, du tétras, de la lagopède des saules qu’on appelait de la perdrix blanche, du porc-épic, du lynx, presque toujours couverts de tranches de lard salé et de rondelles d’oignon. 

Quelques-uns de mes lecteurs se souviennent certainement du rôti du dimanche midi composé de plusieurs viandes braisées. Ce type de plat est probablement le plat le plus typique des dimanches midis d’autrefois. La coutume voulait qu’on fasse cuire, dans le plus grand chaudron noir de la maison, un rôti de porc, un rôti de bœuf et une troisième viande qui variait, chaque dimanche. Ces viandes étaient mises à cuire, tôt le dimanche matin, et cuisaient tout l’avant-midi, à feu moyen-doux, soit à une température de 300 à 325 º F. On les mangeait au retour de la grand-messe qui avait habituellement lieu vers 11 h. Comme les gens habitaient loin de l’égliese et qu’on voyageait à cheval, on ne dinait souvent pas avant 14 h. Ce qui fait que c’était le gros repas de la journée. 

On braisait aussi du porc fumé ou du jambon. Ce type de plat appartient à notre héritage germanique. La fameuse choucroute est une descendante de la tradition germanique. Le porc braisé aux carottes appartient, quant à lui, à notre tradition celtique; on la retrouve d’ailleurs en Autriche comme au Portugal, pays qui ont accueilli massivement des Celtes avant notre ère. On les fait aussi juste avec du poireau ou de l’oignon et du vin blanc. On les braise aussi avec des haricots blancs, comme pour l’agneau.

Quant aux légumes eux-mêmes, c’est le chou qui remporte la palme des légumes braisés, suivi des pommes de terre et des légumineuses qu’on associe toujours à un corps gras comme le lard salé, la graisse d’oie ou de canard.

Au XIXe siècle, on s’est mis à braiser de nouvelles coupes de viande ou du poisson. Mon enquête en a identifié surtout des gros poissons comme l’esturgeon jaune ou noir, la baudroie (lotte) sur la Côte-Nord, la loche pêchée en hiver dans les lacs du Lac-Saint-Jean et en Abitibi et la ouananiche, dans le Témiscouata. Le braisé de poisson au four se faisait avec des gros morceaux de poisson qu’on faisait braiser avec de l’oignon et des aromates et un peu d’eau et de vin blanc. Certains faisaient beaucoup cuire le poisson pour rendre ses arêtes comestibles, comme celles du saumon en conserve. Mais on n’aime plus les poissons trop cuits aujourd’hui.

Dans notre culture culinaire, les côtelettes de viande domestique ne sont arrivées qu’avec l’urbanisation et l’invention de la réfrigération, dans les boucheries. On parle donc du début du XXe siècle seulement. Auparavant, les côtes de veau et de porc étaient plutôt coupées en rôtis que l’on faisait souvent cuire le samedi, pour le dimanche midi suivant. Lorsque les jeunes se sont installés dans les villes du Québec avec l’arrivée de l’industrialisation, il fallut désormais s’approvisionner presqu’au jour le jour, chez les bouchers. Ces derniers durent préparer des portions de viande plus petites pour des questions d’économie et de conservation. C’est à ce moment-là qu’on a commencé à créer des recettes avec des côtelettes. On les cuisinait avec ce qu’on avait sous la main, du saindoux pour les rôtir et des condiments pour leur donner un parfum particulier comme des cornichons, de la moutarde ou du ketchup rouge. Les recettes se sont par la suite raffinées lorsqu’on s’est mis à braiser les côtelettes plutôt qu’à les poêler.

Quoi qu’il en soit, les braisés ont laissé plein d’odeurs qui se sont imprimés dans notre mémoire collective et qui nous rapprochent de notre passé culinaire.

 

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.