Beaucoup de gens pensent que c’est l’ignorance qui est le principal ennemi de la cuisine québécoise. Voyons un peu ce qui en est, d’après mon expérience personnelle comme cuisinier familial ou chef de restaurant d’auberge.
On ne peut mettre au menu familial ou au menu d’un restaurant ce que l’on ne connait pas. Le manque de culture culinaire et surtout le manque de connaissances de notre cuisine de la part même des enseignants en cuisine ou de certains cuisiniers de la télévision est responsable de notre ignorance collective de notre patrimoine culinaire.
La cuisine, comme plusieurs autres formes d’art populaire, n’a jamais fait l’objet d’attention de la part de nos élites et de nos décideurs culturels. La peinture, la sculpture, la musique classique, eux valaient la peine qu’on s’y intéresse, mais pas la cuisine, le jardinage ou la musique country. Pourtant, la grande musique tout comme la gastronomie sont toutes descendantes de la musique populaire et de la cuisine familiale. Les grands chefs ont tous appris à cuisiner d’une mère, d’une grand-mère ou d’un père qui les ont initiés à des plats ou des aliments. La famille naturelle ou adoptive pour plusieurs a été le premier lieu d’initiation à la connaissance culinaire. Pour beaucoup d’entre nous, la cuisine de notre enfance demeure la cuisine refuge, les jours les plus émotifs de notre vie. Cette cuisine connue et émotivement chargée nous est une espèce de lieu de protection contre les aléas de la vie, contre la mort même, si on agrandit notre perception.
La peur de la mort que peut nous apporter la nourriture est un atavisme très profond chez l’être humain ; les races humaines ont dû apprendre, à travers les millions d’années de leur histoire, à reconnaitre ce qui était bon pour elles et ce qui pouvait les faire mourir. Dans un lieu nouveau, il fallait qu’un individu du groupe prenne le risque de goûter à ce qui était nouveau et différent de ce que tous connaissaient. Les autochtones du Québec observaient beaucoup les animaux, les regardaient manger et se disaient que si l’aliment ne faisait pas mourir l’animal, il ne ferait pas mourir l’homme non plus. C’était du moins leur pensée-guide dans le choix de leurs aliments. La connaissance des plantes et de leurs effets sur la vie humaine était d’ailleurs transmise de chaman à un jeune initié ou de mère-guérisseuse à fille-guérisseuse. Cet apprentissage s’était fait sur des centaines d’années de bonnes et mauvaises expériences. Aujourd’hui, cette connaissance s’appuie sur des expériences scientifiques qui peuvent évaluer précisément l’élément bénéfique ou perturbateur des molécule comprises dans la plante-aliment. Mais là encore, cette connaissance est celle des initiés seulement. Les savants sont les nouveaux chamans. Pour la majorité des gens, goûter à un aliment nouveau est toujours un risque. Certains individus refusent même de goûter à quelque chose de nouveau après une mauvaise expérience de leur prime enfance. Leur esprit est fermé à la nouveauté. Ils vont même affirmer qu’ils n’aiment pas tel ou tel aliment alors qu’ils n’y ont jamais goûté.
C’est pourquoi je crois que le plus grand ennemi de la cuisine n’est pas l’ignorance, mais la fermeture d’esprit, la peur atavique de mourir en avalant un aliment que l’on ne connaît pas. Dans ce contexte, il faut que les chefs se donnent la mission d’ouvrir les esprits de leurs clients pour opérer des changements dans notre alimentation. Dans les garde-manger québécois, il y a plein d’aliments comestibles auxquels on ne touche pas par méconnaissance et fermeture d’esprit. Les chefs sont ceux qui peuvent, par leur talent et leur compétence, initier les plus hardis d’entre nous à sortir des sentiers battus de la morue, de l’aiglefin et du saumon. Nos océans contiennent plus d’une centaine de poissons et de fruits de mer variés ! Nos ancêtres les consommaient ; ils sont chez nous ; qu’attendons-nous pour faire confiance à nos guides ? Il en est de même pour les plantes et le gibier de notre territoire.
Sur ce, je vous souhaite mille et une découvertes sur mon site. Il est là pour vous !
Michal Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec