Le Québec cuisine

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Poursuivons notre tour de l’été avec les haricots jaunes ou verts et les brochets.

Voilà deux aliments qui me ramènent à mon enfance ; les fèves jaunes que ma mère m’envoyait cueillir dans notre jardin de Kénogami et le brochet que mon père nous amenait pêcher en famille au lac Étiennish, envers les Passes-Dangereuses. Nous n’aimions pas tomber sur des arrêtes quand nous mangions des darnes de brochet chez certaines de nos tantes, mais mon père qui n’aimait pas plus les arrêtes que nous prenait le soin de les contourner pour nous permettre de déguster, sans problème, la chair de ce poisson, particulièrement personnalisée.

Nos ancêtres français connaissaient bien le brochet qu’on pouvait aussi pêcher dans les lacs intérieurs de la Normandie. En Nouvelle-France, le poisson était particulièrement apprécié des nations algonquiennes qui fréquentaient le nord du Québec comme les Innus, les Atikamekw, les Cris, les Algonquins et les Naskapis. Les familles de la Plaine du Saint-Laurent le pêchaient aussi dans le fleuve, entre Québec et la frontière américaine. Les cuisiniers québécois autochtones et francophones débrouillards savaient bien exploiter sa chair en faisant bouillir le poisson pour le débarrasser de ses arêtes, et en le préparant en crêpe, en soupe de poisson, en beignet, en pâté chinois, en sauce blanche, en hachis et surtout en pain de poisson. Dans les années 1960, on commençait à faire des quenelles de brochet, comme en France. On a cependant découvert que la chair de brochet était parfois contaminée par le mercure. Comme le poisson est un carnassier et qu’il se nourrit exclusivement d’autres poissons, la concentration en mercure est plus grande. Je parle spécialement des brochets qu’on pêche dans les zones inondées depuis la construction des barrages hydroélectriques. Par conséquent, il faut, si c’est le cas, réduire la consommation de ces poissons à quelques fois par année, seulement. Ceci dit, le poisson demeure un grand poisson de notre patrimoine culinaire qu’il faut protéger et conserver à tout prix pour nos enfants.

Quant aux haricots jaunes et verts, ce sont des légumes associés à nos bouillis et nos sauces blanches de l’été. Il n’y a pas longtemps que nous les appelons haricots jaunes ou verts ; auparavant, nous parlions plutôt de fèves jaunes ou fèves vertes ; ou encore de fèves en gousses, en cosse ou en palette, comme les appelait le père Pierre-Philippe Potier, au XVIIIe siècle. Faisons un peu d’histoire. Vous savez, d’une part, que les haricots sont originaires d’Amérique du Sud et d’Amérique Centrale. Jacques Cartier dit qu’il a vu des haricots dans les jardins iroquoïens de la plaine du Saint-Laurent, en 1535. Ces haricots étaient cependant destinés à être séchés pour les conserver durant l’hiver. Selon quelques chercheurs autochtones d’origine américaine, la consommation de gousses de haricots était occasionnelle, dans leurs communautés. Ce sont les Français qui ont commencé la consommation de jeunes gousses de haricots, au XVIIIe siècle. Toute une cuisine paysanne est née, au début du XIXe siècle, en France, avec la consommation de haricots verts en gousses alors qu’au Québec, on préférait les haricots jaunes en palettes. Les Franco-Québécois qui ont émigré aux États-Unis et dans l’Ouest au milieu du XIXe siècle, ont amené leurs habitudes alimentaires avec eux. C’est pourquoi, les Américains ont commencé à consommer aussi des jeunes haricots en gousse, qu’ils baptisèrent « french beans ». Aujourd’hui, les Newyorkais parlent même de « haricots verts » pour désigner ce légume plutôt que « green beans ». Dans leur tête, le mot « bean » évoque plus le haricot sec. Les petits haricots sans fil sont aujourd’hui recherchés. Chez nous, on les consommait toujours jeunes, car les fils venaient avec l’apparition et le gonflement des grains. Les haricots jaunes donnaient toujours des grains blancs que l’on ramassait en septembre pour faires des fèves au lard, en hiver. Les haricots verts avaient plus souvent des grains noirs que certaines familles gardaient aussi pour cuisiner, en hiver. Mais cela était très rare. On préférait, de beaucoup, les gros haricots rouges hurons et les gros haricots blancs ou moustachus mohawks.

Parcourez les recettes de cette semaine pour voir les créations de nos compatriotes que j’ai refaites pour vous les présenter.

Et bonne semaine !

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.