Qu’est-ce qui définit la cuisine d’une région? Est-ce que c’est la tradition propagée par les familles? Est-ce que ce sont les produits régionaux? Est-ce que ce sont les leaders régionaux ou les artistes qui parlent de certains plats dans les médias? Force est de constater qu’il est difficile de définir une cuisine régionale.
Ma pensée a évolué depuis que j’ai commencé à réfléchir à la question, à la fin des années 1980. À l’époque, on avait tendance à penser que tout ce qu’une région produisait pouvait être considéré comme régional. De la pizza faite avec du poivron élevé en serre, au Lac-Saint-Jean, faisait dire à certains qu’on faisait de la pizza régionale. Ceux qui décidaient d’élever de l’émeu sur leur ferme se présentaient comme des artisans locaux faisant la promotion de produits régionaux qui pourraient éventuellement devenir des aliments identitaires d’une région. Responsable du dossier de la Cuisine régionale, dans ma région natale, je vivais un malaise par rapport à cette approche qui me semblait trompeuse, comme les visiteurs français qui me parlaient d’une autre façon de concevoir la cuisine régionale.
À force d’observer et de discuter avec les intervenants en alimentation, j’en suis arrivé à la nécessité de démêler les termes. Produit régional n’est pas synonyme de cuisine régionale. Plein d’artisans créent des produits intéressants, aujourd’hui, dans toutes les régions du Québec, qui sont des produits de qualité attirants pour la clientèle locale et étrangère. Ces produits peuvent être faits avec des aliments originaires d’ailleurs de même qu’avec des idées de recettes étrangères. Un saucisson gaspésien fait avec du porc gaspésien, selon une recette typiquement française est-il un produit identitaire de la Gaspésie? D’autre part, un chop suey fait avec des mactres de Stimpson de Rivière-Portneuf est-il de la cuisine chinoise? Vous voyez que la question est complexe.
Pour ma part, j’en suis arrivé à la conclusion que cela prend plusieurs facteurs pour qu’on puisse parler de cuisine régionale : une région se compose d’une nature particulière et d’une population particulière qui est entrée historiquement en relation avec ce paysage et ces aliments régionaux. Mais ces aliments régionaux existent ailleurs dans le monde, aussi; ils ne sont pas propres à la région. Ce qui les rend typiquement régionaux, c’est la culture culinaire des habitants de la région. Cette culture est toujours issue du mariage unique et original de ses peuples fondateurs. La cuisine du Lac-Saint-Jean, par exemple, est issue du mariage culturel des Kakouchaks et des Montagnais, des Français et des Écossais de Charlevoix, des Français de Québec et de la Côte-du-Sud, et plus récemment, des immigrants venus construire les usines et les barrages hydroélectriques d’Alma. Ces gens ont travaillé les produits locaux comme la ouananiche, les bleuets, les gourganes à leur manière, puis ont fini par créer des recettes originales issues de ces mariages culturels et de ces produits régionaux. Toutes les cuisines régionales du Québec, même encore inconnues par la majorité d’entre nous, se sont construites de cette façon. Comme les fondateurs ne sont pas les mêmes d’une région à l’autre, comme les produits locaux sont aussi différents, on en arrive à des cuisines régionales différentes. Je vous donnerai, dans le futur, des résumés des cuisines régionales. Vous en avez déjà un aperçu, car je vous donne accès aux régions où les recettes ont été recueillies, dans chaque recette. En cliquant sur l’origine, vous avez accès à toutes les recettes publiées de la même région ou de la même ethnie fondatrice.
Cette semaine, je vous parle de poissons de l’Atlantique, la morue et le capelan et des lentilles, principalement cultivées dans le sud-ouest du Québec. C’est une première façon de démontrer que les cuisines régionales dépendant du climat et de l’environnement immédiat. L’Est s’identifie aux poissons de mer, entre autres, et l’Ouest se définit, entre autres, par les légumineuses. C’est particulièrement vrai depuis les années 2000 où l’Ouest canadien est en train de devenir le plus grand producteur de légumineuses du monde. La Saskatchewan produit, aujourd’hui, plus de 90 % des lentilles cultivées au Canada. Elle a le climat et le sol idéal pour elles.
En mettre au menu, en combinaison avec du blé ou de l’orge, c’est une façon de diminuer les protéines animales dans notre menu. Nos ancêtres faisaient la même chose quand ils mangeaient une bonne soupe aux pois ou aux lentilles avec du pain bis ou de blé entier, en repas principal.Cuisiner le Québec d’est en ouest, c’est une autre façon d’habiter notre territoire.
Michel Lambert