Voilà deux aliments qui ont marqué l’histoire culinaire de la plaine du Saint-Laurent. Commençons avec l’anguille, si chère à nos ancêtres autochtones et français. L’anguille est un poisson catadrome qui, au contraire du saumon et de l’alose anadromes, nait dans l’eau salée de la mer des Sargasses pour venir passer sa vie dans l’eau douce. Par conséquent, toutes les anguilles du Québec, descendent les rivières et le fleuve, en automne, pour aller se reproduire dans la mer des Sargasses située au large des Antilles et de la Floride. Mais elles doivent ralentir leur rythme en arrivant dans l’estuaire du fleuve, au-delà de l’ile d’Orléans, pour habituer leur corps à l’eau salée. C’est pourquoi la région de Québec jusqu’à la Baie-Saint-Paul et jusqu’à Kamouraska ont été des régions très favorables à la pêche à l’anguille.
C’est avec de l’anguille fumée que Jacques Cartier et les Français sont accueillis à Stadacone, le 7 septembre 1535. Les Iroquoïens du Saint-Laurent qui habitaient la plaine du Saint-Laurent se nourrissaient principalement des produits de leur agriculture et des poissons du fleuve, selon la saison. L’anguille était le poisson qui suivait l’esturgeon de l’été et le saumon du printemps. Lorsque Champlain vint s’installer à Québec en 1608, les Iroquoiens n’y étaient plus, mais les nations algonquiennes comme les Montagnais de Tadoussac, les Algonquins de Trois-Rivières, les Souricois (Micmacs) et les Etchemins (Malécites) de la péninsule gaspésienne venaient tous y pêcher l’anguille, en automne. On le fumait sur place avant de retourner chacun chez soi, avec de grandes provisions d’anguille fumée.
Les premiers colons de la région de Québec imitèrent donc les autochtones du pays en installant, eux aussi, des pêches devant leur ferme, pour prendre de l’anguille et s’en faire des provisions pour l’hiver. Les Français originaires de la Rochelle connaissaient bien l’anguille et l’estimaient beaucoup. Ils enseignèrent donc à leurs compatriotes français comment conserver l’anguille dans le sel, comme dans leur pays d’origine. À cette époque, on aimait beaucoup les poissons gras comme l’anguille. C’est ainsi que l’anguille fumée et l’anguille salée sont devenues des aliments marqueurs de notre identité culinaire, au cours des derniers siècles. L’anguille était si populaire, au début de la colonie française, qu’elle servait même de monnaie d’échange pour obtenir d’autres aliments importés de France. La pêche à l’anguille fut malheureusement abandonnée dans les années 1960 lorsqu’on commença à faire des travaux routiers dans la région de Québec qui perturbèrent considérablement la faune aquatique de la région. L’industrie alimentaire se tourna alors vers d’autres produits venus d’ailleurs pour répondre au besoin de nouveauté des Québécois. On ne mangea plus d’anguille, lui préférant des bâtonnets de poisson congelé venus des Maritimes ou de la Nouvelle=Angleterre. C’est ainsi qu’à partir de ma génération, rares sont ceux qui ont déjà mangé de l’anguille, dans leur vie. Pourtant, on peut encore en trouver, si on fait l’effort de la chercher. Les pêcheurs commerciaux locaux en offrent encore à leurs clients. On en trouve même des vivantes dans les poissonneries asiatiques. On vend des filets d’anguille congelés dans certaines poissonneries de Montréal. Il y a donc moyen d’en trouver si on veut retrouver notre patrimoine culinaire pour le faire connaître à nos enfants. Je vous donne ici quelques recettes que les ainés m’ont données.
Parlons maintenant du chou pommé, aussi appelé le chou cabus qui veut dire « tête » par analogie de forme. Ce chou descend du chou maritime qui pousse encore de façon sauvage sur les rives des mers de l’Europe occidentale. Les chercheurs pensent que ce sont les habitants du pourtour de la Méditerranées qui l’auraient cultivé en premier, il y a 5 000 ans. Les textes latins et grecs datant de 300 ans avant J.C. parlent du chou pommé que nous connaissons. Vers l’an 1 000, le chou pouvait être vert, blanc ou rouge. Il pouvait être rond, plat ou cornu. Avec le temps, on a développé des choux avec des feuilles très plissées comme le chou de Savoie ou de Milan. Je vous donne, cette semaine, des recettes de chou pommé blanc ou vert. La semaine prochaine, je vous donnerai des recettes avec d’autres sortes de chou comme le chou rouge, le chou chinois, le chou frisé et le chou plissé.
Le chou était donc l’un des principaux légumes de nos ancêtres européens. Les Celtes le mangeaient en soupe en compagnie de grains de blé, d’orge et d’avoine. Les Francs connaissaient la choucroute qu’ils consommaient avec du porc fumé, du jambon ou du gibier (sanglier, chevreuil). Les Romains consommaient le chou en salade avec du vinaigre, comme le révèle l’auteur romain Caton l’Ancien, dans son ouvrage De Agricultura, en 160 avant J. C.. Nos ancêtres français mangeaient donc le chou en salade, en soupe ou en braisé avec de la viande. La potée de chou se faisait d’office avec un morceau de lard salé de porc ou de baleine, de l’oignon ou du poireau. C’était une soupe-repas qu’on faisait au moins une fois par semaine, chez les gens ordinaires, tant en France, en Angleterre qu’au Québec. Ce sont les Français amenés par Roberval en 1541 qui plantèrent les premiers choux à Cap Rouge, près de Québec. Mais les choux gelèrent avant leur maturité. Le premier chou planté et consommé chez nous date de 1618 ; il avait été planté par Louis Hébert. Par la suite, plusieurs textes nous parleront du chou québécois, malheureusement souvent attaqué par les pyrales (petits papillons blancs qui s’y logent pour se transformer en chenilles vertes destructrices.) Nos ancêtres ont amené leurs recettes de chou européennes que nous continuons à faire, au XXIe siècle, comme la perdrix au chou, la salade de chou vinaigrée ou crémeuse, la soupe au chou, le bouilli de légumes qui en contient toujours, le chou farci, les choux-cigares ou cachettes au chou, le colcannon irlandais, la choucroute, etc. Je vous donne, cette semaine, quelques recettes de cet aliment vraiment patrimonial.
Je vous souhaite d’autres idées pour apprêter ce légume de longue conservation qui convient bien à notre nordicité.
Je vous invite, de plus, à consulter le calendrier de fruits et de légumes publié par alextalex.ca. Il vous sera utile pour choisir vos produits selon la saison tout en consommant local, le plus possible.
http://www.alexetalex.com/calendrier-des-fruits-legumes-de-saisons.jpg
Bonne semaine à tous !
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec