Le céleri est arrivé au Québec avec nos ancêtres français qui le considéraient, avant tout, comme une herbe potagère ou aromatique comme le persil ou le cerfeuil. Chacun en plantait dans son jardin pour parfumer les bouillons, les sauces et les ragouts de toutes sortes.
La chose nous est confirmée par Pierre Boucher, en 1664, par le père Pothier, en 1744 et par le voyageur Pehr Kalm, en 1749. Le père Pothier rapporte dans ses écrits personnels que, lors d’une fête de sa communauté en juin, on a servi « un quartier de pâté à la viande et une tranche de porc avec deux brins de céleri. » Dans l’étude qu’a faite Dépatie, des baux de notaires entre 1720 et 1780, le céleri est mentionné aussi souvent que le chou dans les demandes que font les parents à leurs enfants, à qui ils léguaient la ferme familiale. Le marchand montréalais Pierre Guy raconte, à la fin du XVIII e siècle, que les citoyens de la ville pouvaient s’approvisionner en plants de céleri comme en plants de chou et de chou-fleur, que l’on partait déjà en couche chaude*, comme chez mes grands-parents et mes parents. C’est donc dire que le céleri a toujours été important dans notre cuisine nationale.
Mais les colons comprirent vite qu’il y avait aussi des plantes sauvages à saveur de céleri, au Québec. Les premiers habitants de la Gaspésie découvrirent la livèche écossaise qui pousse au bord de la mer et ceux de la Plaine du Saint-Laurent goutèrent aux jeunes feuilles de berce laineuse qui aime aussi les bords de l’eau. Plusieurs familles de colons français remplacèrent le céleri européen par ces plantes, comme je l’ai vu à Tadoussac, dans mon enquête, où le persil de mer était encore en usage dans les années 1960. Au XIXe siècle, quelques immigrants français et allemands apportèrent aussi du persil sauvage européen qu’ils plantèrent dans leur jardin familial. Ce céleri que les biologistes appellent de l’ache des marais (apium gravolens gravolens) fournissait de nombreuses feuilles de céleri aromatique, sans trop d’effort.
Cette plante européenne était déjà utilisée par les Grecs, 700 ans avant J. C., comme le rapporte Homère dans l’Odyssée. Les feuilles étaient cependant amères comme la sauge ou le thym. Ce sont des Italiens de la Renaissance qui eurent l’idée de faire blanchir la plante en l’enterrant de terre ; ce qui allongea les branches et rendit le légume beaucoup moins amer. L’agronome de Louis XIV, Jean-Baptiste de la Quintinie, créa le céleri-branche, dans les serres du château de Versailles. Il faut savoir, ici, que le céleri était particulièrement aimé de Louis XIV, parce qu’on le disait très aphrodisiaque. Son nom vient d’ailleurs d’un dialecte italien, le lombard, et veut dire « l’herbe de la lune, l’astre par excellence des amoureux ».
Quand j’étudiais en France, dans les années 1960, le céleri-branche n’était pas encore considéré comme un légume, mais plutôt comme un aromate. On ne mangeait jamais de bâtons de céleri comme on avait commencé à le faire dans les années 1940, au Québec. Dans ma prime enfance, on cultivait des champs de céleri à Albanel, au lac Saint-Jean, qu’on envoyait par train, à Montréal et à Québec. Cette initiative avait incité les fermiers des environs à partir ce céleri-branche dans leur couche-chaude*, comme les tomates ou les choux-fleurs. Les épiceries des années 1950 furent les premières à importer du céleri des États-Unis. Les immigrants allemands établis aux États-Unis connaissaient bien la culture de ce légume et furent les premiers à répandre la consommation de bâtons de céleri, partout en Amérique du Nord. La sauce trempette qui accompagne ce genre de crudité vient d’ailleurs de l’Allemagne qui est une grande amatrice de fromage blanc de type Philadelphia. Les Anglais ont toujours aimé le céleri qu’ils préparaient en soupe ou en sauce. C’est eux qui nous ont initiés à la crème de céleri que l’on peut acheter en conserve, dans toutes les épiceries contemporaines. Mais le mariage oignon-carotte-céleri fait partie de la tradition française du XVIIe siècle ; c’est à cette époque, en France, qu’on a commencé à remplacer les épices par ces aromates faciles d’accès, même pour les pauvres. Ce sont les 3 légumes aromatiques les plus fréquents dans nos recettes patrimoniales.
À la Renaissance, les jardiniers italiens dont je vous ai parlé, plus haut, ont créé le céleri-rave. C’est la racine de la plante sauvage qu’on a réussi à faire grossir. En l’espace d’un siècle, ce légume s’est répandu particulièrement en Europe centrale et en Europe de l’Est. Il est arrivé au Canada au début du XXe siècle, avec les communautés religieuses qui fuyaient la Révolution française. Il est mentionné dans Le potager canadien, Bulletin no 10, en 1915, écrit par le trappiste Dom Athanase. En 1824, l’École d’agriculture de La Pocatière le mentionnait dans ses récoltes de l’année. J’ai personnellement connu le céleri-rave, en France, dans les années 1960, où on le consommait cru et râpé, en sauce rémoulade. J’en ai planté dans mon jardin de La Présentation, dès 1973. Il fallait le partir en serre pour obtenir une grosseur suffisante. On le trouve maintenant, dans toutes les épiceries, principalement en hiver. C’est un légume intéressant pour une cuisine nordique comme la nôtre, car ce légume peut facilement se conserver, en hiver, en chambre froide.
Je vous donne, cette semaine, quelques recettes de notre patrimoine avec du céleri et du céleri-rave.
Bonne cuisine à tous !
* Couche chaude: serre rudimentaire que nos ancêtres faisaient, collée à la maison, du côté sud, de 60 cm de haut, et recouverte de vielles fenêtres en pente douce. Certains faisaient chauffer cette serre, la nuit, par un chassis de cave. On y déposait beaucoup de fumier, l’automne précédent pour favoriser la croissance et la chaleur de la terre par l’action bactériologique.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.