Mon grand-père Ouellet d’Albanel savait faire de beaux choux-fleurs dont nous nous régalions, lorsque ma mère nous amenait chez eux, en autobus, chaque été. Chaque soir, après souper, il faisait le tour de son jardin dont il prenait grand soin, malgré une longue journée de travail de contremaître sur des chantiers de construction ou de réparation des chemins du village. Il avait la patience qu’il faut pour prendre soin d’un chou-fleur, si on veut qu’il ne soit pas trop visité par les papillons blancs et si on veut le cueillir bien blanc. Il prenait soin d’attacher les feuilles du légume avec une cordelette, puis de le détacher pour vérifier si tout allait bien, régulièrement. C’est de lui que j’ai appris la patience d’un bon jardinier lorsque j’ai planté mes premiers choux-fleurs à la Présentation, près de Saint-Hyacinthe. Mais quand ce légume est-il entré dans nos mœurs culinaires ?
Le chou-fleur est arrivé au Québec au XVIIIe siècle, seulement. Même s’il était connu en France, dans les années 1660, il n’est pas mentionné dans les textes qui font la nomenclature des premiers légumes plantés au Québec. On lira l’histoire que j’en fais, à l’article qui lui est consacré dans la rubrique de nos aliments patrimoniaux de la semaine, après la liste des recettes.
J’ai eu, pendant une longue période de ma vie, une allergie très grave au chou-fleur. Je me suis finalement rendu compte que mon problème venait lorsque je le mangeais cru ou lorsque j’ingurgitais le liquide de sa cuisson. Récemment, j’ai appris à le faire cuire séparément des autres aliments et de l’ajouter aux autres aliments, rincé à l’eau froide et cuit. J’ai retrouvé le bonheur de manger du chou-fleur, comme au temps de ma jeunesse, et dans le cadre de ce blogue, de vérifier la diversité de sa cuisine, chez nous !
Le deuxième aliment en vedette, cette semaine, est le bœuf salé plus connu sous le nom de Corned Beef, vendu traditionnellement en conserve. Heureusement, on peut aujourd’hui trouver du bœuf salé comme on trouve plus facilement du lard ou du porc salé. Ce sont les familles anglophones et acadiennes du Québec qui le connaissent et l’utilisent fréquemment dans leur menu estival. C’est la viande d’office de tous leurs bouillis de légumes de l’été. La partie du bœuf utilisée pour faire le bœuf salé est, en anglais, le brisquet. On traduit le mot, en français, par « poitrine de bœuf ». C’est effectivement le ventre du bœuf, située à l’avant de l’animal, entre les jambes d’en avant. C’est une partie solide et difficile à cuire qu’il faut attendrir par la cuisson ou le marinage au sel et aux épices. Le bœuf salé appartient à une longue tradition culinaire britannique, espagnole et sud-asiatique. Au Québec, il fait partie de notre héritage britannique amené de la Nouvelle-Angleterre. C’était, avant tout, de la nourriture de bateau qui traversait les océans ; d’où sa popularité en Amérique du Nord et du Sud, au temps de la colonisation des pays américains. Les Juifs le consommaient aussi abondamment en ajoutant la fumée au salage épicé de la viande. On connait bien la réputation du bœuf salé et fumé de Montréal, simplement nommé « smoked meat ». Ce type de viande fait la réputation de Montréal, à l’étranger. Ce sont des Juifs polonais qui ont développé la recette en gardant le secret de leur mélange d’épices. J’ai retrouvé dans les familles anglophones de la Basse-Côte-Nord, des gens qui jusqu’à tout récemment, faisaient leur propre bœuf salé, comme mon père faisait notre lard salé, annuellement. Comme on n’avait pas de réfrigérateur domestique, à l’époque, la viande salée était le dépanneur de l’été. C’est toujours avec elle qu’on faisait cuire les légumes du bouilli traditionnel. Je vous en donne plusieurs versions, cette semaine, que vous pourrez essayer. On peut remplacer le bœuf salé par du bœuf fumé (smoked meat) si on n’en trouve pas à l’épicerie. On peut aussi le demander à son boucher qui l’achètera de grossistes comme Gaspésien, sous le nom de bœuf en saumure douce ou comme Maple Leaf, sous le nom de Pointe de poitrine de bœuf salé.
Je vous souhaite donc une belle semaine de découvertes estivales !
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.