Le titre de notre site web «Le Québec cuisine depuis 12 000 ans » fait sursauter bien des gens et provoque un sourire moqueur. C’est la raison pour laquelle je vous propose cette semaine, quelques éclaircissements sur ce choix.
Lorsque j’ai commencé à écrire, en l’an 2 000, je voulais simplement approfondir l’histoire de la cuisine de ma région-natale, le Saguenay-Lac-Saint-Jean. J’avais, devant moi, deux magnifiques livres écrits par Cécile Roland-Bouchard : L’Art culinaire au pays des bleuets et de la ouananiche (1967) et Le Pinereau, l’art culinaire au Saguenay-Lac-Saint-Jean (1971). Madame Bouchard donnait des recettes appartenant à nos ancêtres de Charlevoix, de Québec et de la Côte-du-Sud, sans oublier les communautés de langue anglaise du Saguenay et du Lac-Saint-Jean de même que la communauté innue de Mashteuiatsh. J’ai voulu approfondir cette démarche en remontant au début du peuplement de la région. Cela m’amena à consulter les études anthropologiques et archéologiques de la région, puis les débuts de son peuplement racontés par les Jésuites, les gérants des Postes de traite, les monographies des villages de la région et surtout l’enquête faite par Mgr Victor Tremblay auprès des fondateurs de la région, encore vivants dans les années 1930. Et pour donner encore plus de poids à tout cela, je me suis contraint à interroger, moi-même, des ainés d’au moins 80% des villages de ma région. J’y ai appris encore plus de choses fascinantes que dans les sources écrites. Ce premier tour d’horizon de notre culture culinaire m’amena à constater que plusieurs de nos ancêtres venaient de partout au Québec et que mieux connaître leur cuisine, c’était aussi me familiariser avec les cuisines de toutes les régions du Québec et de tous ses peuples fondateurs. L’idée d’étendre ma recherche à tout le Québec m’est alors venue rapidement.
L’étude des premiers habitants du Québec m’a vite fait prendre conscience que ce ne sont pas les Français qui ont inventé la cuisine québécoise. La cuisine de notre territoire est née lorsque les premiers êtres humains sont entrés dans le territoire, il y a 12 000 ans ! Puis d’autres groupes humains sont venus s’installer au Québec, par des routes différentes, avec un bagage culinaire particulier qu’ils ont partagé avec les peuples déjà installés dans leur nouveau territoire. On a échangé des recettes, des préférences alimentaires et des outils de cuisine de sorte qu’à travers les siècles, se sont développées de nouvelles recettes métissées en plus des recettes issues des peuples fondateurs. Les nouveaux arrivants apportaient des aliments venus d’ailleurs qui, pour certains, avaient aussi au moins 12 000 ans d’âge culinaire. Le blé, l’orge, les pois secs, les courges, le maïs, le porc, l’agneau, la volaille et le bœuf sont cultivés ou élevés par l’homme depuis plus de 10 000 ans. Enfin, la cuisson des aliments par le feu était familière aux premières espèces humaines comme celles de Néanderthal ou d’Homo sapiens, il y a 400 000 ans. La cuisine n’est-elle pas née avec la cuisson des aliments sur le feu? Ce n’est donc pas téméraire de dire que notre culture culinaire date de 12 000 ans !
Mais je comprends le questionnement de la majorité de mes lecteurs qui pensent que notre culture est née, il y a 400 ans. Je vous propose une nouvelle vision des choses que je vous explique depuis plusieurs blogues. J’estime que le Québec actuel est le résultat de rencontres culturelles millénaires qu’on retrouve dans notre assiette, sans trop s’en rendre compte. Et ces fusions culturelles ne cessent de se faire dans notre assiette au point qu’on pense y perdre notre identité. Cette peur est cependant inutile car nous sommes déjà le résultat d’un métissage culturel incroyable. L’être humain ne perd pas son identité parce qu’il apprend de nouvelles choses et fait de nouvelles expériences. L’être humain se modifie au fil du temps; il n’y perd pas pour autant ses racines culturelles profondes.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec