En plus des jus de citron, de lime, d’orange et de pomme avec lesquels nous cuisinons, il faut citer d’autres jus anciens et modernes avec lesquels nous faisons des cocktails alcoolisés ou non, aujourd’hui. Les IroquoÏens avaient l’habitude de déjeuner, en été, avec des petits fruits. Quand il y en avait beaucoup, ils s’en ramassaient pour les jours suivants. N’ayant pas de réfrigération, les fruits devenaient facilement liquides; ce qui plaisait particulièrement aux personnes âgées et aux enfants. Les jus de bleuets et de framboises étaient populaires aussi chez les nations algonquiennes. On les ajoutait à la sagamité matinale. Les Iroquois se faisaient aussi cuire longuement des courges pour obtenir des purées liquides. On faisait aussi des jus de maïs frais qu’on écrasait avec le pilon ou les dents avant de le remettre dans la marmite de terre. Tous ces jus n’étaient pas filtrés, bien entendu.
De leur côté, les Français se faisaient aussi des jus de fruits, une fois leurs vergers bien plantés. Les pommes et les poires tombées par terre étaient surtout transformées en jus, à partir du XVIIIe siècle, car on se faisait du cidre et du poiré, comme en France. Ce n’est pas tout le monde qui se faisait du poiré mais les gens de Montréal et de la Rive-Sud (Longueuil, Varennes, Verchères), surtout. Les communautés religieuses, entre autres, comme les Sulpiciens de Montréal, puis les Hospitalières de Québec, avaient de grands vergers avec des productions abondantes de fruits qu’on ne voulait pas gaspiller. De plus, nos archives révèlent qu’en été on ramassait des fraises et des framboises pour se faire des vinaigres qu’on apportait ensuite dans les champs, dans le temps des foins, pour se rafraîchir. On ramassait alors de l’eau de source ou de ruisseau à laquelle on ajoutait un peu de vinaigre de fruit et de sucre. Le vinaigre de framboise était particulièrement populaire. Les Loyalistes des Cantons de l’Est se faisaient le même genre de boisson avec du sirop de cassonade et du gingembre auquel ils ajoutaient de l’eau fraîche et du whisky. Mais leurs jus préférés étaient les jus de petits fruits sauvages avec lesquels ils se faisaient des gelées. À la même époque, certains marchands de Québec offraient différentes eaux-de-fruits (eau de fraises, de framboises, de raisins, de pêche, etc. faites à base de jus de fruits, tel que raconté par l’hisorien Paul-Émile Roy.
Lorsque les conserves sont arrivées en Amérique, au milieu du XIXe siècle, certains industriels de la Floride eurent l’idée de mettre du jus d’orange et de pamplemousse en conserve. Mais ce sont les deux Guerres mondiales qui ont stimulé cette coutume parce qu’on voulait en envoyer aux soldats, outre-mer. Dans les années 1950, sont apparus les jus de fruits topicaux en mélange avec le jus d’orange. Ces jus ont commencé à devenir l’entrée obligatoire de tous les déjeuners américains. La coutume est rapidement passée au Canada et au Québec avant de passer en Europe. Les Ministères de la santé américains et canadiens ont d’ailleurs encouragé la consommation de jus par les enfants, à défaut de manger des fruits. Tout un mouvement religieux partit l’alimentation-santé en associant les jus de fruits aux céréales, le matin. Messieurs Graham et Kellorg appartenaient à cette croyance, à la toute fin du XIXe siècle. Au Québec, on ajouta les jus de fruits en collation pour les enfants. Les jus de pomme ou de raisin bleu étaient les plus populaires, dans les années 1970.
L’industrie alimentaire contemporaine regorge d’idées créatrices pour présenter les jus de fruits. On connait toutes les variantes en mélange avec de l’eau gazéifiée, ceux avec de la pulpe ou sans pulpe, et surtout, les smoothies nés en Californie d’un certain Thomas qui voulait créer une boisson semblable au Milk Shake, mais pour les gens allergiques au lait. Cette boisson est devenue à la mode grâce aux fabriquants de mélangeurs électriques qui en ont fait la promotion. On fait de multiples mélanges de fruits et de légumes avec ces appareils très performants pour tout réduire en purée.
Les semaines prochaines, nous parlerons d’ailleurs du jus de tomate et des jus de légumes.
Je vous donne cette semaine quelques recettes de cocktails qui mettent en valeurs les jus d’ananas, de grenadille et d’atocas. Le jus de grnadille est un jus magnifique que j’ai découvert en Turquie. Pour ce faire, il faut se procurer un extracteur à jus manuel, très populaire en Turquie. On peut se le procurer sur le Web.
En terminant, je veux souligner avec reconnaissance les nombreux témoignages positifs donnés après la sortie de L’Érable et la Perdrix écrit en collaboration avec mon amie Élisabeth Cardin, Philippe Richelet et Simon Mathis. Ce magnifique volume est l’oeuvre minutieuse de Cardinal, notre éditeur attentif. Un merci bien senti aux journalistes de la Presse et du Devoir de même qu’aux animateurs de Radio-Canada de faire la promotion de la cuisine familiale de chez nous.
Bonne semaine à tous,
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.