L’épidémie actuelle nous oblige à nous isoler des autres, si l’on ne veut pas mourir du Covid-19 qu’ils peuvent nous transmettre, par simple rapprochement accidentel. L’Histoire nous donne de multiples exemples où les autres ont mis notre vie personnelle ou collective en danger, lors de conflits familaux, raciaux, ethniques, territoriaux mais aussi lors d’épidémies comme celle que nous vivons actuellement.
Cet isolement pour survivre s’est fait d’abord chez les peuples inuit et autochtones; le froid, la neige et ses tempêtes étaient alors l’ennemi principal dont il fallait se protéger. Mais parfois aussi, c’étaient d’autres gens qui venaient chasser dans leur territoire et qui leur enlevaient leur moyen de subsistance. Lorsque les Européens sont débarqués sur leur territoire de chasse et pêche, ils apportèrent de nouveaux microbes et virus qui décimèrent tragiquement leurs populations en santé. On sait désormais que certains administrateurs anglais et espagnols donnèrent même des couvertes infectées de microbes pour diminuer intentionnellement leur nombre et prendre leurs terres, sans trop de résistance.
Malgré ces faits dramatiques, les nouveaux arrivants n’étaient cependant pas tous inhumains et appeurés par les autres, les différents d’eux. Malgré leurs préjugés qui persistent toujours, les communautés autochtones et européennes firent des efforts pour s’apprivoiser. Et l’un des plus forts moyens pour ce faire, fut de partager des aliments et de nouvelles recettes.
Les Européens et leurs descendants s’entichèrent du doré, du poisson blanc, de l’orignal, de la gélinotte, des bleuets, de l’érable qu’ils ne connaissaient pas. Les Autochtones adoptèrent d’emblée le blé, l’avoine, les pois et le porc salé des Blancs. Chacun a pris des mots et des pensées de l’autre. Chacun adopta des idées de l’autre sur la Vie.
Les Blancs prirent goût à la liberté des moeurs autochtones; les Autochtones découvrirent un dieu plus rassurant que les leurs. Mais il y eut aussi tant de morts, tant d’incompréhensions à travers les siècles, que nous avons toujours peur des autres… comme nous avons terriblement peur actuellement de mourir de ce nouvel inconnu.
Beaucoup d’entre nous sont malheureux dans cette peur de l’autre, habitués qu’ils étaient à se déplacer librement ailleurs au Québec ou dans le monde, ailleurs dans les musées, les théâtres, les cinémas, les restaurants. Mais comme je l’entendais, dans la bouche d’un chef cuisinier qui préparait un sandwich exotique à la télé, on peut voyager chez soi en explorant aussi la cuisine de l’autre. Les Québécois sont particulièrement ouverts aux autres cuisines du monde. C’est aussi une façon d’accueillir l’Autre chez soi pour se nourrir de sa culture et de sa façon de voir et de sentir le monde. La liste des recettes de cette semaine, comme le cinquième livre de ma série sur la Cuisine familiale du Québec porte justement sur les cuisines du monde, présentes sur notre table familiale. (Éditions GID)
Je termine avec une anecdote familiale. Quand j’étais adolescent, ma mère a commencé à faire des dizaines de egg rolls pour le temps des Fêtes. Ces rouleaux chinois faisaient partie de tous les repas de famille, dans mon entourage saguenayen. Ils côtoyaient la tourtière, le boeuf à la mode, la dinde farcie, le pâté à la viande, le rosbif, le steak d’origal, le gâteau aux fruits, les macarons à la noix de coco ou aux Corn Flakes. Sans trop en être conscient, on s’ouvrait au nouveau Québec, inclusif et généreux.
Je vous donne, cette semaine, une série de recettes qui viennent d’ailleurs et du Québec profond, Elles sont ma façon de voyager et de m’ouvrir aux autres, en ces temps d’isolement et d’isolation métaphorique du pays contre ce nouveau Froid, comme au temps des Inuit et des Autochtones.
Comme l’an dernier, nous ferons relâche du 20 décembre au 23 janvier prochain, pour nous reposer et prendre le temps de planifier les sujets de 2021.
Denis, Jean-François et moi, vous souhaitons calme et abandon. Laissons la rivière couler…et attendons le retour espéré de l’Autre, avec son amour et ses calins, chez soi!
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.