Les Québécois sont, aujourd’hui, fiers de la variété de leurs fromages. Lorsque le Canada a décidé d’ouvrir ses frontières aux fromages français, on a eu peur de leur compétitivité, compte tenu de leur réputation légendaire. Mais cette peur était injustifiée, car nos produits sont hautement de qualité et assez originaux pour attirer encore notre attention, lors de nos courses hebdomadaires. J’aimerais aujourd’hui résumer l’histoire des fromages québécois.
Les Amérindiens et les Inuit ne faisaient pas de fromage, car ils ne soutiraient pas de lait des animaux femelles qu’ils abattaient. Ce sont les Inuit du Labrador et de la Basse-Côte-Nord qui goutèrent au lait, pour la première fois, il y a mille ans, lorsque les Vikings s’installèrent à l’Anse aux Meadows, en face de Blanc-Sablon. Ces derniers avaient apporté des brebis et des chèvres du Groenland d’où ils étaient partis pour explorer de nouveaux territoires. C’est la saga d’Éric le Rouge qui raconte cela. Les Vikings, comme leurs ancêtres germaniques, élevaient aussi de grands troupeaux de vaches dont ils tiraient du lait, du beurre et du fromage qui constituaient une part importante de leur menu.
L’élevage du boeuf remonte aux débuts de l’agriculture, il y a 11 500 ans. Les Indo-Européens de l’Asie Centrale et leurs descendants indiens et européens continuèrent tous à le faire en emportant leurs troupeaux avec eux, lors de leurs grandes migrations vers l’Est et l’Ouest. Les archéologues ont apporté de nombreuses preuves de fabrication de fromage élémentaire que nos ancêtres appelaient des « câilles », en trouvant des contenants d’argile ou de bois troués pour laisser égoutter le « petit lait » ou babeurre lorsque le fromage se forme lors de la fermentation du lait, le lendemain de sa cueillette. Les Indo-Européens ont rapidement constaté que le fromage pouvait se sonserver très longtemps en prenant du gout si on pressait ces morceaux de lait caillé. On les entreposait dans des grottes qui leur donnaient un goût spécifique, comme c’est toujours le cas pour le célèbre roquefort français, le stilton et même le cheddar d’origine. Selon le Dr Alfred Gottschalk (Histoire de l’alimentation et de la Gastronomie), on a donc trouvé des preuves de fabrication de fromage chez les Buschirs, les Tatares, les Kirghizes, les Kalmouks d’Asie Centrale, puis au Tibet, en Perse (aujourd’hui l’Irak), en Égypte, en Grèce, en Italie et en France, au temps des Anatoliens, puis des Celtes, des Romains, des Francs, des Vikings qui envahisrent, tour à tour, le territoire français.
Lorsque nos ancêtres français de sont installés au Québec, ils apportèrent donc des vaches d’origine normande et bretonne dont ils soutiraient du lait pour faire leur soupes, leurs sauces, leur beurre et leur fromage. Lorsque leurs vaches produisaient le plus de lait, au coeur de l’été, on en profitait pour se faire des provisions de beurre, et dans certaines familles, du fromage appelé « fromage égoutté ». Ce fromage ressemblait beaucoup à nos fromages blancs actuels avec une texture plus granuleuse. On le mangeait au dessert avec du sucre d’érable, sur une tranche de pain de ménage. Et on en faisait sécher quelques-uns plus longtemps, sur des claies suspendues au-dessus du poêle à bois, qu’on gardait comme des mets de choix pour le dimanche. On faisait alors rôtir ces fromages dans un poêlon embeurré, sur des tranches de pain de ménage. Ce sont les petits cousins du « grilled cheeze » américain.
Lorsque Napoléon entra en guerre contre l’Angleterre, au début du XIXe siècle, il installa un blocus maritime qui obligea l’Angleterre à chercher d’autres lieux pour s’approvisionner en poisson, en bois et en produits laitiers. C’est alors que l’Angleterre pensa à sa colonie canadienne pour nourrir sa population croissante. Nos régions périphériques sont nées à cette occaion pour fournir l’Angleterre et ses colonies en morue salée, en pin blanc, en beurre et en cheddar. Rapidement, les fermiers augmentèrent leur troupeau de vaches laitières pour pouvoir vendre de la crème qui servirait à faire du beurre et du cheddar pour l’exportation. C’est ainsi qu’on remplaça notre habitude de faire notre fromage familial par l’achat du fromage cheddar facilement accessible, dans tous les villages du Québec. Au temps de mon enfance, chaque village avait sa fromagerie et ses artisans fromagers. Chaque soir, le fromager recevait la visite des jeunes gens qui allaient se chercher du « fromage en crotte » encore chaud, pour collationner avec leurs amis ou leur nouvelle blonde. Je me souviens être allé porter des bidons de crème à la fromagerie avec mon grand-père Lambert qui attelait Paddey, son cheval préféré, pour ce faire. Il arrêtait prendre les bidons de crème de ses voisins qui les déposaient, chaque matin, devant l’entrée de leur maison. Ce travail bénévole était apprécié du fromager qui donnait, chaque année, aux fermiers collaborateurs, une meule de fromage cheddar en plus d’un prix de base pour leur crème. Le cheddar était donc servi, en entrée ou en collation de soirée, lorsqu’on avait de la visite. Jusque dans les années 1970, les repas de noces, de baptême ou d’enterrement, comprenaient souvent une entrée de cheddar en cubes avec des radis et des bâtons de céleri. Puis dans les années 1960, avec l’immigration importante de la France, on s’est familiarisé avec les fromages français comme le brie et le camembert. Les fromages dits « fins sont alors entrés dans nos moeurs tout comme la célèbre fondue au fromage, puis la raclette d’origine suisse. La soupe à l’oignon puis le croque-monsieur avec du gruyère devinrent les plats parisiens les plus en demande dans nos restaurants avant les fondues parmesan qu’on trouvait encore dans les retaurants des années 1990. On connait d’ailleurs ces 2 fromages, au Québec, depuis la fin du XIXe siècle puisqu’on les mentionne dans nos premiers livres de recettes.
J’ai expliqué, sur ce site, plusieurs facettes de l’histoire de nos fromages. Je vous invite à les consulter, si vous en avez le temps et l’intérêt. Voici les références: le fromage cheddar, le fromage blanc, le fromage mozzarella, le fromage parmesan, le fromage bleu, les fromages à pâte pressée non cuites, les fromages à pâte semi-ferme de type gouda, les fromages à pâte semi-fermes à croûte lavée, les fromages à pâte molle à croûte lavée, les fromages à tartiner.
Nous disposons maintenent de plus de 300 fromages québécois auxquels s’ajoutent régulièrement des fromages français, américains et de plus en plus d’Amérique latine. Les Végétaliens peuvent aussi se procurer des fromages industriels faits à partir de plantes, dans toutes nos épiceries. Toules les personnes allergiques aux produits laitiers peuvent d’ailleurs en profiter pour faire nos recettes traditionnelles qui font beaucoup appel à eux.
Bonne semaine à tous et bonne cuisine, en famille…
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec