Tous les êtres vivants de cette planète ont besoin d’eau pour survivre. Mais l’Homo sapiens, imaginatif au centuple, a créé de multiples boissons pour varier son besoin quotidien de liquide. Il a su tirer plein d’arômes des plantes de son environnement à cette fin comme il a trouvé plusieurs moyens de varier ce goût par la fermentation de certains liquides riches en sucre.
Les autochtones buvaient essentiellement de l’eau, des tisanes et des bouillons d’oiseaux ou de mammifères marins ou terrestres, parfois parfumés de plantes ou d’huiles. Les Inuit, par exemple, ajoutaient, de temps en temps, des algues au phoque annelé qu’ils faisaient bouillir ensemble pour varier cette viande presque quotidienne, pendant leurs longs hivers. Les Iroquoïens du Saint-Laurent ajoutaient de l’huile de bélouga, de noix de caryer ou de graines de tournesol pour parfumer l’eau du poisson qu’ils faisaient bouillir. Mais ce sont les chasseurs de baleines basques et les pêcheurs normands et bretons qui initièrent les Innus, les Micmacs et les Iroquoïens du Saint-Laurent aux boissons alcooisées, lorsqu’ils débarquaient sur la Côte-Nord ou celles de la Péninsule gaspésienne pour faire fondre l’huile de baleine ou saler et sécher leur morue.
Les immigrants Européens étaient de grands buveurs d’alcool pour plusieurs raisons. On sait, d’une part, que l’eau apportée sur le bateau de la traversée de l’Atlantique se gâtait rapidement et rendait malades ceux qui en buvaient. On apportait donc beaucoup de cidre et d’eau de vie sur les bateaux pour contrer cet inconvénient. Heureusement, on savait que le fait de faire bouillir longtemps de l’eau pour faire du café ou de la soupe, éliminait ce problème. Mais les jours de tempête ou de grand vent, on évitait de faire du feu sur le bateau. On n’avait alors pas le choix de boire de l’alcool ou de cuisiner avec du vin ou du cidre. Les boissons alcoolisées ont le défaut de créer des accoutumances et des modifications psychologiques qui peuvent devenir problématiques pour l’environnement des buveurs. L’ivresse causait alors du désordre que les missionnaires et les administrateurs de la colonie redoutaient, particulièrement chez les autochtones et les jeunes coureurs des bois français. Mais comme la colonie avait besoin d’eux pour le commerce des fourrures et la survie de la colonie, il fallait faire avec.
Le mot alcool est d’origine arabe. Mais les boissons alcoolisées datent d’au moins 6 000 ans. La bière est l’un des premiers alcools à avoir été trouvés par l’homme, en Mésopotamie. Les pyramides les plus anciennes témoignent de la présence du vin en Égypte. Ce sont les Arabes qui ont inventé la distillation du vin, au début du Moyen Âge. Ils utilisaient un alambic pour produire le khôl qui était en fait, un fard, une poudre noire que les femmes des harems se mettaient sur les paupières. Comme on produisait l’alcool de la même façon, on donna le même nom au vin que l’on distillait avec un alambic. Ce sont les Croisés européens qui ont ramené la technique arabe en Europe. Et ce sont les moines européens qui se mirent à distiller leurs vins en alcool au Moyen Age classique (XI au XIII e siècle). Le mot alcool et le mot eau-de-vie se sont cependant généralisés à partir de la Renaissance. C’est à cette époque que l’alcool est devenue une boisson enivrante et non plus un médicament, comme au Moyen Âge. La région de Cognac qui ne faisait pas de bons vins pensa transformer ses vins en alcool, sous la compétence initiale des moines locaux. Puis ce sont des commerçants anglais qui eurent l’idée d’en faire un commerce lucratif pour entrer en compétition avec les marchands hollandais qui faisaient de gros sous avec la vente d’alcool aux marins du monde. Lorsqu’on commença à se promener sur toutes les mers de la planète, l’alcool devint la solution essentielle pour lutter contre la contamination de l’eau sur les bateaux, lors des longs séjours en mer. On buvait de la bière, du cidre, du vin ou de l’eau-de-vie plutôt que de l’eau sur ces bateaux. C’est la raison pour laquelle l’eau-de-vie a été si essentielle, lors de la fondation de la Nouvelle-France : elle a sauvé la vie de nos ancêtres. Ils commençaient leur journée avec un bout de pain trempé dans l’alcool. Ils en buvaient sans arrêt dans leurs campagnes militaires ou leurs voyages pour aller chercher de la belle fourrure dans le Nord ou l’Ouest du pays. Ils en troquaient de grandes quantités aux autochtones qui retrouvaient dans cette boisson européenne, l’excitation des tentes branlantes ou l’euphorie des drogues auxquelles les initiaient leurs chamans. Les prêtres et les administrateurs de la colonie, cependant, étaient témoins des dommages considérables que provoquaient l’eau-de-vie dans les communautés française et autochtones. La dépendance à l’alcool existait à l’époque comme aujourd’hui. On fit des campagnes contre l’alcool, plusieurs fois, pendant notre histoire. Mais le problème a toujours persisté parce que l’alcool, la droque, la nourriture peut créer des dépendances insurmontables pour certains individus. Le sujet est particulièrement d’actualité avec l’arrivée de la légalisation de la marijuana.
Le terme eau-de-vie regroupe plusieurs boissons légèrement alcoolisées, à base de grains de céréales, de pommes de terre, de vin, de fruits, de palme, de canne à sucre, etc. que l’on distille pour en soutirer une boisson très alcoolisée. L’eau-de-vie a été amenée par les pêcheurs européens au Québec, à la fin du XVIe siècle. C’était la seule boisson qui pouvait supporter la traversée de l’Atlantique; l’eau naturelle finissait toujours par se contaminer rapidement au cours du voyage comme on l’a dit plus haut. On n’en donnait même pas aux animaux qu’on devait abreuver de vin ou de cidre. Les premiers alcools populaires chez nous furent les eaux-de-vie de vin comme le cognac ou le brandy ou de pomme comme le calvados. Le rhum s’ajouta rapidement à l’importation de la mélasse et du sucre, en Nouvelle-France, au milieu du XVIIe siècle. La conquête de 1760 introduisit quelques alcools de céréales comme le whisky et le gin. Les coureurs des bois et les soldats en transportaient de grandes quantités avec eux lors de leurs voyages commerciaux ou militaires. C’était la récompense essentielle de ces hommes pour leurs efforts considérables pour assurer la survie de la colonie. J’ai trouvé plusieurs témoignages de son utilisation en cuisine, au cours de notre histoire. Très souvent, ces hommes faisaient cuire du poisson ou du gibier dans un poêlon puis déglaçaient la poêle toujours avec un peu d’alcool. Les autochtones ont gardé cette tradition française dans les communautés éloignées des grands centres. Même les religieux avaient besoin d’eau-de-vie dans leurs bagages; c’était considéré, aussi, comme un remède stimulant pour le cœur et désinfectant pour l’intérieur et l’extérieur du corps.
Le vin faisait aussi partie des boissons préférées de la Nouvelle-France. Même les missionnaires s’en apportaient en forêt pour dire la messe et pour les jours de fêtes religieuses. Comme le raconte le père Le Jeune, leurs jeunes engagés recevaient, tous les jours, une chopine de cidre ou un pot de bière et parfois « un coup de vin aux bonnes festes ». Utilisait-on du vin dans la cuisine aussi? C’est certain qu’on en utilisait. La coutume était courante de le faire sur les bateaux qui traversaient l’Atlantique car après un mois, l’eau qu’on apportait n’était plus bonne à boire. On devait alors la remplacer par de la bière, du cidre ou du vin. Comme le vin avait plus de valeur que la bière ou le cidre, on le gardait généralement pour les jours de fête. Ainsi, les poissons ou les fruits de mer cuisaient dans du vin blanc comme les viandes rouges, dans le vin rouge. Pour ménager le vin, cependant, on en mettait surtout dans les poêlons qui avaient rôti la viande pour les déglacer et faire une sauce d’accompagnement, en même temps. Malheureusement pour nous, cette tradition française s’est brisée avec la conquête anglaise. On a remplacé les vins français par des vins maison que l’on faisait avec tout ce qui nous tombait sous la main : des fleurs de pissenlit, des betteraves, des cerises à grappes, du riz avec des tranches de citron ou d’orange, etc. Sous le Régime anglais, on s’est davantage tourné vers les vins madérisés comme le Porto et vers les alcools forts comme le rhum, le whisky et le gin, puisque ce sont les boissons que les marchands anglais et américains aimaient le plus. L’engouement pour le vin est revenu dans les années 1960, lorsque la Régie des Alcools du Québec dut répondre à la demande grandissante de vins de qualité. C ‘est à ce moment-là qu’on redécouvrit les vins de Bordeaux, de Bourgogne, d’Alsace avant d’acheter des vins plus accessibles du Sud de la France et du Chili.
On buvait aussi beaucoup de cidre, en Nouvelle-France. Pour faire du cidre, ça prend beaucoup de pommes. Or, les pommes étaient si importantes dans les régions d’origine de nos ancêtres francophones et anglophones qu’on en faisait du cidre en abondance. Le cidre est donc l’une des premières boissons à avoir été importée au Canada, au début du XVII e siècle. Le premier pommier aurait été planté au Québec par Louis Hébert, en 1617. Mais ces pommiers furent détruits par les Anglais, lors de l’occupation du Québec par les frères Kirk, entre 1629 et 1632. Ce sont les pères Jésuites qui les ont remis à l’honneur, en revenant au Québec, en 1633. À la fin du Régime français, on avait assez de pommiers à Montréal, pour faire du cidre, comme en Basse-Normandie. Les pommes qui servirent à faire le premier cidre québécois étaient des pommes normandes comme la reinette, la calville et la pomme d’api de forme plate. Le cidre a cependant perdu de la popularité au profit de la bière lorsque les Anglais conquirent le Canada au XVIIIe siècle. On le vit renaître périodiquement avec les réveils nationalistes des années 1830, 1960 et 1990. Aujourd’hui, le Québec produit de magnifiques cidres pétillants ou mousseux, des cidres rosés, des cidres plats ou tranquilles et surtout des cidres de glace qui sont connus dans le monde.
La bière a toujours fait partie de nos boissons populaires. C’est Louis Hébert, apothicaire de métier (pharmacien en termes modernes), qui enseigna aux premiers colons à se faire de la bière maison avec leurs restes de pain. En 1646, les pères jésuites construisaient la première brasserie du Québec, à Sillery; c’est le frère Alexandre, convers de la communauté, qui s’en occupait. En 1669, l’intendant Talon faisait construire une première grosse brasserie pour la population de Québec. Mais celle-ci dut fermer ses portes, faute d’acheteurs. Ce sont les pauvres qui aimaient la bière et ils n’avaient pas d’argent pour en acheter. Ils préféraient s’en faire à la maison, à peu de frais. Lorsque les Anglais ont pris le contrôle de la colonie française, en 1760, la bière prit du galon auprès des Franco-Québécois. Les officiers anglais l’adoraient. C’est d’ailleurs à ce moment-là que sont nées les brasseries. Les soldats anglais avaient le droit de consommer 5-6 pintes de bière par jour. Et cette bière anglaise était beaucoup plus forte que la bière française à 2-3 % d’alcool. Encore aujourd’hui, la bière demeure la boisson préférée des travailleurs forestiers et de la construction. Elle a cependant pris du galon avec la création de nombreuses barasseries artisanales, partout au Québec. Elle est devenue une boisson de prestige, aux mille parfums régionaux, mais démocrartiquement accessible au plus grand nombre.
D’autres boissons alcoolisées suivirent les eaux-de-vie, le vin, le cidre et la bière. Citons les liqueurs fortes par opposition à nos liqueurs douces, sans alcool. Ces alcools sont obtenus de la distillation d’un vin de fruit ou d’une autre plante. Les Français et leurs imitateurs d’ailleurs dans le monde produisent plusieurs liqueurs à gout de fruit, de café, de noix, etc. Ces liqueurs fortes se prennent la plupart du temps en digestif comme le cognac ou le brandy, aussi issus de vins de fruits. Les liqueurs parfument aussi nos desserts festifs contemporains et s’utilisent de plus en plus en apéritif dans la composition de certains cocktails. Leur texture en bouche est différente des alcools sucrés qu’on appelle des crèmes, comme la crème de menthe ou la crème de cassis alcoolisées. Citons enfin les cocktails, les shooters ou les shots. Les cocktails remonteraient aux années 1920, au temps de la prohibition, aux États-Unis. On voulait masquer le gout de l’alcool de contrebande en ajoutant d’autres ingrédients comme des jus, des agrumes ou des boissons gazeuses. Jusqu’aux années 1970, les cocktails se faisaient avec du rhum, du gin et du whisky. La vodka est devenue le principal alcool après l’année de l’Expo, en 1967. On ne s’entend pas sur l’origine du mot ; certains prétendent qu’ils viendrait de cock-tail, plume de coq, parce qu’à l’époque de la prohibition, on mettait une plume dans la boisson pour indiquer qu’il y avait de l’alcool dedans. D’autres, comme le barman du Antoine’s Restaurant de la Nouvelle-Orléans, prétendent que le mot viendrait du mot « coquetier » parce que le barman de l’époque servait un mélange de boissons dans un coquetier à deux anses. Les anglophones comprenaient coquetiel ; c’est ainsi que le mot aurait dérivé en coquetel avec la graphie anglaise cocktail pour l’associer à des mots anglais connus. Les shooters ou les shots sont les termes anglais correspondant au mot « rasade » ou « cul-sec », en français. On a inventé des petits verres destinés à ces alcools forts ou ces cocktails forts que l’on boit d’un trait dans les bars, à l’heure actuelle. La coutume de boire rapidement un alcool fort existait au temps de la Nouvelle-France comme ailleurs dans le monde, encore aujourd’hui. Certains peuples buvaient ces alcools forts et lançaient aussitôt leur verre derrière eux avec fracas. La coutume de faire cul-sec existait beaucoup en Normandie, en particulier dans le temps des Fêtes, des mariages et même des enterrements. Nos parents avaient gardé cette habitude, le matin du Jour de l’An. Les shooters ne sont donc pas une invention récente.
Les boissons non alcoolisées sont aussi très nombreuses aujourd’hui. Les eaux parfumées sont nées pour remplacer l’alcool, lors des travaux de la ferme, les journées de grande chaleur. On se faisait des bases acidulées avec des vinaigres de petits fruits comme les framboises, le cassis ou les groseilles, qu’on sucrait et complétait avec de l’eau fraiche de puits ou de ruisseau. La mode est passée dans les villes où des marchands de Québec ou de Lévis proposaient des eaux de fraises, de menthe, de gingembre, etc. Ces boissons remplaçaient la bière de gingembre, la bière d’épinette ou le bière de « bibittes » qui était une bière maison faite avec de la levure de pain et de pommes de terre. Mais certaines personnes ajoutaient clandestinement un peu d’alcool à ces boissons soi-disant sans alcool. Les fermiers des Cantons-de-l’Est ajoutaient un peu de whisky à leur switchel à base de vinaigre, mélasse et gingembre.
Il y avait, bien sûr, l’eau de source ou l’eau gazéifiée, les jus de fruits, les thés, les cafés importés et locaux, les boissons gazeuses dont vous pouvez lire l’origine sur ce site. Nos épiceries nous vendent enfin plein de boissons énergisantes à base de caféine et d’alcool que plusieurs d’entre nous remettent en question à cause de leur marketting visant les adolescents. Notre imagination ne s’accorde pas toujours avec notre raison, c’est bien connu!
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec