Le Québec cuisine

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Parlons des poissons du début de l’été en commençant par la truite mouchetée ou la truite rouge !

Quand j’avais 6 ans, mon père m’amenait déjà pêcher la truite envers Larouche. On n’avait pas d’auto ; on prenait donc l’autobus qui montait au Lac-Saint-Jean, le matin, et mon père demandait au chauffeur de nous débarquer près d’un petit lac en bordure de la route. On reprenait l’autobus en fin d’après-midi avec une brochetée de petites truites qu’on ramenait dans une chaudière, pleine de mousses vertes humides pour les conserver au frais. Aussitôt que les lacs dégelaient, mon père nous amenait passer la fin de semaine au bord des lacs envers les Passes-Dangereuses. On y faisait des provisions de poisson pour l’hiver. Assez rapidement, j’ai appris à distinguer les truites du Québec et la façon de les pêcher.

 

La truite mouchetée que les biologistes et l’Office de la langue française appellent l’omble fontaine n’est pas vraiment une truite. Mais nos ancêtres français l’appelaient ainsi parce qu’elle ressemblait énormément à la truite brune européenne qui était relativement encore présente dans les campagnes françaises du XVIIe siècle. On distingue nos ombles que l’on appelle toujours des truites, par leur apparence : on parle de « truite mouchetée » parce que cette truite, — la plus répandue du Québec puisqu’elle constitue à elle-seule 75% des prises totales des pêcheurs québécois –, porte sur ses flancs gris foncé, des taches qui vont du jaune pâle au rouge cerné de bleu foncé. On la distingue facilement de la « truite rouge » parce que cette dernière est d’un gris pâle parsemé de taches noires et gris foncé. De plus, la queue de la truite mouchetée est presque carrée alors que la queue de la truite rouge dessine un V évident. La truite mouchetée est présente partout au Québec, même au Nunavik, excepté dans la pointe nord du Labrador. La truite rouge de son côté n’est présente que dans l’Est du Québec et surtout au Nunavik où on l’appelle communément « l’omble de l’Arctique ». Les biologistes et l’Office de la langue l’appellent l’omble chevalier. La grosseur de ces ombles varie beaucoup selon leur lieu de vie. Dans les grands lacs du Nord-du-Québec et du Nunavik, on pêche plus souvent des ombles de 5 à 10 livres. Mais comme la truite mouchetée se retrouve dans les moindres petits ruisseaux, les rivières à cascades et les nombreux lacs de la forêt boréale, c’est le poisson d’eau douce le plus consommé du Québec ; il a généré de nombreuses recettes que mes livres vous ont résumées. Chez les autochtones de langue algonquienne, ce sont les petites filles et leur mère qui pêchaient ces poissons. Chez les Inuits, c’étaient aussi les femmes qui pêchaient l’omble de l’Arctique. Les hommes ne pêchaient la truite qu’en cas de famine, et en se cachant pour ne pas passer pour une femme. Du côté anglophone, ce sont les familles d’origine écossaise qui appréciaient le plus les truites québécoises.

La truite mouchetée naturelle a une chair très variable qui va du beige pâle à l’orange foncé. Son gout est typique et particulièrement apprécié des Franco-Québécois. Dès le début de la colonie, on en pêchait beaucoup au nord de Québec, comme le signale le jésuite Le Jeune, en 1637 :

« Le 2 jour de Mars, Monsieur le Gouverneur alla visiter un lac éloigné environ quatre lieues de Kébec… Monsieur le Gouverneur fit pescher soubs la glace pendant le caresme ; on y prit quelques carpes et des truites saumonées dont il fit plusieurs presens aux uns et autres, car il n’a rien à soy »

La truite se pêchait donc autant en hiver qu’en été –- on se rappellera que nos ombles sont très actifs sous la glace car c’est le temps de leurs amours–. À la fin du XIXe siècle, on pêchait encore la truite pendant le carême. Voyons le compte-rendu de Monsieur Petit de Chicoutimi :

1873, 20 mars : Pris 300 truites

1873, 21 mars : Pris 200 truites

1876, 11 avril : pris 150 truites

Et il donne des quantités aussi importantes en été. Ceci laisse à penser que la consommation familiale de truite était impressionnante.

Comme aujourd’hui, cette truite provient de stations d’élevages où on les nourrit de crevettes, on rencontre surtout des truites rouge-orangé dans nos lacs ensemencés. Les pourvoiries sont toutes acheteuses de ces truites d’élevage qui se mêlent aux populations indigènes de truites. C’est la façon la plus facile de s’en procurer car nos marchés d’alimentation n’offrent malheureusement pas ce choix patrimonial dans leurs comptoirs. Il serait pourtant si facile de remédier à cette lacune puisqu’on en fait l’élevage, partout au Québec.

Je conseille donc aux gens d’aller s’en pêcher eux-mêmes, en famille, dans des pourvoiries. Il y a des quotas mais on peut aussi en manger sur place et se contenter au moins 2-3 fois par été. Les amateurs fortunés peuvent aller se pêcher de grosses truites dans le Nord-du Québec, les ramener entourées de glace et les congeler pour les rencontres familiales de l’été ou le temps des Fêtes. Beaucoup de familles reçoivent la parenté avec des poissons-trophées que l’on farcit au riz, aux pommes de terre râpées ou au pain avec des herbes et des champignons. C’était aussi un plat offert dans les noces de l’été, autrefois. On les faisait cuire sur la braise, sur un feu de camp extérieur, complètement enveloppés de glaise. On cassait la glaise avec un marteau et on partageait la truite farcie entre tous les convives, avec un verre de whisky et de la salade du jardin. On traitait le saumon de la même façon. Cette recette patrimoniale est aujourd’hui cuite sur le barbecue.

Mon site vous donne une trentaine de recettes de truite mouchetée ou de truite rouge, cette semaine. N’hésitez pas à en mettre en conserve pour l’hiver plutôt que d’acheter des poissons importés élevés on ne sait trop où.

Bonne semaine à tous.